Le temps est venu de bousculer un peu ce blog de « sportifs » assis, ces pseudo golgoths persuadés que le port d’une peau de chamois fait d’eux des animaux des montagnes !
Et oui, il existe d’autres droles de personnages parcourant les montagnes sur un mode sportif dans des épreuves en lignes, portant le nom barbare de traileurs.
Mon cher frère-aux-pieds-palmés ayant commencé à parler de mon trail du WE dernier, j’entreprend donc d’en faire un petit compte-rendu.
Cette course, comptant 160 km et quasiment 10000 m de D+, sur des terrains globalement difficiles, représente un défi pour moi. Elle a la réputation d’être splendide, mais d’être aussi la plus difficile des épreuves chronométrées hexagonales. Je ne peux donc avoir a priori d’autre objectif que de tenter de la terminer et il convient que je programme ma saison pour me mettre en situation d’en être capable.
Pour ça, je choisis une démarche loin d’être majoritaire, mais semblant convenir à merveille à mon mode de fonctionnement : un volume d’entraînement moyen plutôt faible (40 à 50 km hebdo en moyenne depuis le début d’année) mais condensé sur des périodes restreintes. En gros, empiler de grosses charges sur un ou plusieurs jours - rien de tel que le surentrainement en quelques sortes - suivies de la période de repos nécessaire à une bonne récupération et à l’obtention du phénomène de surcompensation (réparation des dommages musculaire et renforcement des fibres). De Mars à Août, ça donne une course de 80 km, un stage de 5 jours (3 de vélo, 2 de trail), un « week-end choc » avec 4500 m D+ en deux jours, une deuxième course de 100 km et 6400 m D+ dans le Verdon, et un dernier « Week-end choc » avec 100 km et 6000 m D+ en 3j 5 semaines avant la course. Le reste du temps : beaucoup de récup’ et assez peu d’entrainement.
Ma préparation terminée, j’arrive dans les pyrénées frais et avec une motivation au top. Un voyage depuis Paris en train de nuit, une journée relax au camping, et enfin, voilà le départ attendu depuis des mois. Il est 5h ce Vendredi matin, la météo s’annonce bonne pour la durée de la course, et nous nous encourageons entre traileurs avant d’affronter ce monument de la course à pied. Le départ à la lampe frontale me semble extrêmement rapide et je choisis de ne suivre que ma propre allure, qui pour l’instant est celle de jambes réveillées depuis à peine plus d’une heure ! Je cherche de toute façon à éviter à tout prix un démarrage à une vitesse excessive, les premières heures étant déterminantes pour la réussite de la course : peu de temps à gagner, mais tout à perdre ! Finalement, des soucis gastriques précoces et les nausées en découlant me limitent à aller plutôt doucement, mais c’est la manière la plus raisonnable qui soit. J’en profite donc pour discuter un peu avec les quelques coureurs autour de moi et pour admirer les paysages. Et là, je comprend pourquoi je suis venu. Après le col de Portet, c’est l’entrée dans l’univers pyrénéen rêvé : un monde minéral et sauvage, une succession de lacs de montagnes à perte de vue, et la journée à s’en mettre plein les yeux. La course se poursuit donc avec enthousiasme. Un grande descente au milieu des lacs, suivi d’une longue montée et nous arrivons au pic du midi de Bigorre, point culminant de la course.
Nous en sommes au 40è km (3600 m D+) et la course vient à peine de commencer. Ca tombe bien, je me sens encore en pleine possession de mes moyens. Je profite d’un ravitaillement pour manger un morceau, retartiner les pieds de crème antifrottements, et refaire le plein du camelback avant une portion longue en plein soleil que la lecture du road book m’a fait redouter. J’ai été plus que prudent jusque là, et cette stratégie commence à payer. J’enchaîne facilement la succession de montées et descentes et je commence ma remontée au classement. J’étais 51è, et me voila remonté progressivement jusqu’à la 26è place à la base-vie de Villelongue au 73è km. Une base-vie, c’est un endroit fabuleux, on sort de 12 h d’efforts en montagne et on se retrouve dans une salle chauffée avec des tas de bénévoles au petits soins qui apportent des plats de pâtes, de la charcuterie et de la soupe aux vermicelles ! C’est formidable, mais il ne faut pas trop s’y attarder : après un quart d’heure, il est temps de repartir.
J’avais considéré qu’à ce stade de la course, j’aurais de quoi être fixé sur la possibilité d’aller au bout. En repartant, je me sens au top et le moral est au beau fixe. Bien mieux, en entamant la montée de 1700 m de D+ sur le col de Contente, on est quasiment à la moitié et j’ai l’impression d’avoir mes meilleures jambes depuis le départ ! Je me méfie un peu au début et commence même à m’inquiéter quand je remonte comme un avion sur deux autres traileurs que je laisse sur place, mais la chose se confirme dans la suite de l’ascension que je poursuis à environ 1000m de D+ à l’heure : au bout de plus de 12 h de course, c’est incroyable, je réalise la montée dans les mêmes temps que les premiers. C’est donc ça qu’on appelle l’état de grâce !
Je rattrape alors un coureur avec qui je passerai mes dix prochaines heures de course. Nous sympatisons immédiatement et ce sera un allier précieux pour passer la nuit. Nous rattrapons ensemble dans la descente un autre traileur visiblement dans le dur, l’encourageons, le dépassons, le laissons loin … et le voyons finalement un quart d’heure plus tard ressortir devant nous dans un lacet du sentier !!! Nous le redépassons, le relaissons sur place … et le retrouvons devant nous quelques hectomètres plus loin. Il connait visiblement le coin comme sa poche et coupe dès qu’il le peut et parvient à gagner énormément de temps, qu’il perd par ailleurs à la course. Nous ne sommes pas particulièrement focalisés sur le résultat, mais finissons quand même un peu écoeuré par ce qu’il convient d’appeler un tricheur (j’imagine bien sur une cyclo l’effet que ferait un gugusse prenant des raccourcis !!!) et lui expliquons ce que nous en pensons en le reprenant une énième fois. Ce sera heureusement le seul gros naze rencontré pendant l’épreuve, la solidarité et le fair play étant ce qui prédomine chez les autres !
Je continue de conserve avec mon nouveau pote, une grosse montée, une descente apocalyptique hors entier avec des devers de folie et des chutes à répétition, et enfin, la deuxième base-vie à Luz-Saint-Sauveur, 120è km. Je sais alors que la partie est gagnée. Je sais maintenant que je finirai, quoi qu’il arrive. Mes montées de folie m’ont amené à la 13è place et je comprend aussi que quelque chose d’énorme est en cours. Mais c’est néanmoins le début de la portion la plus difficile. Nous sommes au milieu de la nuit, il fait froid, la fatigue et les douleurs sont maintenant bien là et il reste 8 ou 9 heures avant l’arrivée ! Nous ressortons dans l’obscurité et c’est reparti. L’état d’esprit n’est plus le même qu’aux heures ensoleillées, la nuit est quelque chose que nous devons affronter et chaque kilomètre parcouru est une conquête. Nous poursuivons néanmoins avec obstination et atteignons le ravitaillement suivant. En repartant, je m’arrête brièvement pour m’habiller un peu plus et mon compagnon part devant, me sachant plus à l’aise en montée. Sauf que quand je redémarre, je n’y suis plus, je suis épuisé et la progression me devient extrèmement pénible. Ca fait 24 h que j’avance, dont 8 h de nuit, il reste 1h30 avant le prochain lever de soleil, et le mental flanche en même temps que le reste. Un concurrent me double, m’encourage et me donne ce qu’il faut pour les coups de mou me dit-il, à savoir un peu de coca qu’il a dans une bouteille ! Ca me remonte un peu le moral et je m’accroche, bien décidé à me battre jusqu’au bout.
Enfin, le jour se lève et l’arrivée se profile à 20 km. Les mucles sont douloureux, les ampoules aux pieds me lancent à chaque pas, mais je ne vais pas rendre les armes maintenant et je cours dès que le terrain me le permet. Après des pierriers interminables, j’atteinds le dernier ravitaillement, j’attaque la dernière montée ou je mets un point d’honneur à montrer à des randonneurs essayant de lutter qu’un traileur, même en bout de course, ça avance quand même trop vite et c’est la dernière descente. 12 km et 1400 m de D- et j’ai mal partout. Je sais par contre qu’il m’est encore possible de faire moins de 30 h et je n’ai aucune envie de perdre la moindre place maintenant et je me lance à fond. Je vais aussi vite qu’il m’est possible, j’essaie de n’écouter ni mes cuisses ni mes pieds et la distance me séparant de la ligne se réduit. La ville d’arrivée apparaît au loin et les chemins deviennent roulants. L’euphorie l’emporte désormais et courir vite ne pose plus de problème, et c’est ce que je fais jusqu’à l’arrivée.
La banderolle est franchie, je réponds au speaker et je savoure pleinement le résultat : je finis 11è en 29h45, jamais je n’aurais espéré un tel résultat !
L’épreuve aura tenu toutes ses promesses, magnifique et très difficile. Le nouveau parcours a surpris par sa difficulté – ça se gagne en 4 h de plus que l’an dernier – et les abandons sont nombreux : plus de 300 sur 650 partants. Pour ma part, le défi est réussi et je profite quelques temps de l’aura que mon résultat me confère parmi le petit monde l’ultra : une fois n’est pas coûtume !
Maintenant, il me reste à rentrer à la maison en une journée de train, et à reprendre les Kcalories dépensées pendant l’épreuve, ce qui rique de prendre plus de temps ! Et oui, c’est aussi ce que j’aime dans l’ultratrail, c’est qu’après, un poulet, ça fait même pas pour un, ou alors à condition de l’accompagner par autre chose !
Vincent
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire